Monsieur le Président, cher collègue,
Dans votre message adressé aux responsables de diplômes daté du 12 mai, il est indiqué que nous sommes invités par l'Etat et notre ministère à nous mobiliser pour proposer une offre de formation à distance durant le premier semestre aux étudiants internationaux.
Drôle d’invitation que cette mobilisation générale, digne des grandes envolées du président Macron.
Avant de questionner sérieusement cet appel, rappelons quelques faits, et non des moindres.
- Le nombre d’étudiants a augmenté de 20% en France entre 2008 et 2018, alors que le budget de l’enseignement supérieur a progressé de moins de 10% (en euros constants), d’où une baisse de 10% de la dépense par étudiant.
- L’université en France a perdu l’équivalent de 3650 Equivalent Temps Plein entre 2012 et 2016.
- Dans notre université, on est passé en sept ans (de 2011 à 2018) d’un enseignant pour 14.75 étudiants à un enseignant pour 18.5 étudiants. L’augmentation du nombre d’étudiants est de 17% sur cette même période.
Nous pourrions continuer indéfiniment de présenter un tas de chiffres qui convergent vers un même constat : l’université se dégrade et nos dirigeants nous demandent de faire toujours plus avec toujours moins.
Et là, à travers vous, la ministre nous demande encore plus.
En quelque sorte, il s'agirait de dédoubler l'offre de formation en rendant tous les cours magistraux et travaux dirigés accessibles également à distance. Vous savez comme nous que les formations proposées par le CTU sont distinctes de celles dispensées dans les UFR. De plus, le fait que le taux de réussite dans les formations à distance est extrêmement faible ne semble pas inquiéter outre mesure.
On voit arriver de loin le chantage sur la conscience professionnelle, sur nos valeurs d’humanisme, sur notre solidarité internationale. Questions qui, bizarrement, n'ont pas tourmenté l'esprit de la ministre lorsqu’elle a décidé d'augmenter considérablement les frais d'inscription pour les étudiants extra-communautaires. Les questions de l'accès à internet dans les pays d'Afrique, du Proche-Orient et d'Amérique latine ne semblent pas constituer un obstacle.
Alors, dans votre courrier, votre interrogation est de savoir si nous sommes en "capacité" de le faire... Or, jamais vous ne parlez des moyens qui seront mis à disposition pour nous accompagner dans la démarche. Nous ne parlons pas de moyens financiers, ce petit jeu a assez duré et nous ne sommes pas dupes. « Voici quelques heures complémentaires, recrutez donc des vacataires ! » Cette petite musique, on l’entend à chaque réforme et ça suffit. Elle est devenue insupportable et indigne. Si vous voulez des personnels en burn-out l'année prochaine, ça serait bien là la meilleure façon de vous y prendre.
Sommes-nous en capacité donc ? Nous répondons : "chiche !" Et nous vous retournons la question, que vous pourrez renvoyer à notre ministre : êtes-vous en capacité de nous fournir les moyens nécessaires pour, dans un premier temps, essayer de reconstruire un service public de l’ESR laissé à l’abandon depuis des nombreuses années mais également, puisqu'il s'agit de cela ici, pour permettre la mise en place d'une formation à distance de qualité aux étudiants étrangers ?
Etes-vous en capacité de recruter massivement des enseignants-chercheurs et des personnels administratifs fonctionnaires ?
Etes-vous en capacité de fournir du matériel informatique de qualité à tous les personnels mobilisés sur cette tâche ?
Etes-vous en capacité d'obtenir que les bâtiments soient rénovés et d'en construire des nouveaux pour garantir des conditions de travail et d’étude décentes ?
Etes-vous en capacité de construire une véritable stratégie d'accompagnement des étudiants internationaux ?
Si vous êtes en capacité, alors on vous suit, on vous applaudit même !
Dans le cas contraire, tout ceci va être très compliqué.
L'intersyndicale vous demande donc de vous engager officiellement à ouvrir toutes les formations, même celles qui se retrouveront en effectif réduit du fait de l'absence des étudiants étrangers auxquels vous n’aurez pas été capable de proposer un enseignement à distance.
Enfin, et pour conclure, voici deux principes auxquels nous sommes attachés et qui doivent nous guider pour la suite :
- La crise sanitaire que nous traversons ne doit aucunement constituer un prétexte pour faire basculer l'enseignement supérieur dans une ère du tout numérique, tant pour les étudiants internationaux que les étudiants français. Si des mesures de précautions doivent bien évidemment être prises, elles ne doivent pas nous conduire à sacrifier la richesse de l’interaction pédagogique directe : pas d'imposition de Massive Open Online Courses, mais la préservation d'un enseignement offline avec de réels moyens pour pouvoir dédoubler les cours en présentiel !
- La crise sanitaire ne doit pas non plus constituer un prétexte pour fermer les frontières. D'autres solutions sont tout à fait envisageables pour lutter contre la pandémie, par exemple le dépistage systématique et la mise à l'isolement uniquement des personnes positives.
Dans l'attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre pleine et entière détermination à défendre le service public d'enseignement supérieur.